D'après « Histoire physiologique et anecdotique des chiens de toutes les races », paru en 1867
L'aimable et spirituelle épistolière et courtisane Ninon de Lenclos avait pour médecin un petit chien svelte, mignon, à l’œil noir, au poil fauve, qu'elle appelait Raton. Quand Ninon allait dîner en ville, Raton l’accompagnait. Elle le plaçait dans une corbeille, tout près de son assiette. Raton laissait passer sans mot dire le potage, la pièce de bœuf, le rôti ; mais dès que sa maîtresse faisait semblant de toucher aux ragoûts, il grommelait, la regardait fixement, et les lui interdisait.
Quelques entremets n'éveillaient pas toute sa sévérité ; mais il y en avait qu'il proscrivaient absolument, surtout quand une odeur d'épices annonçait quelque danger. Le docteur jappant voyait de son corbillon passer et se succéder tous les services sans rien prendre pour lui, sans convoiter un os de poulet : ce n'était point un médecin prêchant la tempérance et gourmet à table ; quelques macarons suffisaient a son appétit.
II permettait le fruit à discrétion ; mais, servait-on le café, la désapprobation était formelle : ses yeux devenaient demi-ardents de colère. Décoiffait-on l’anisette, Raton aussitôt de se serrer contre sa maîtresse, comme dans l’instant du plus grand péril, d'emporter entre ses dents le petit verre et de le cacher soigneusement dans le corbillon. Ninon feignait-elle de vouloir prendre du nectar prohibé, notre petit Sangrado se mettait à gronder ; Ninon insistait-elle, c’était bien autre chose ; il se démenait comme un lutin, et jamais Purgon, sur notre scène comique, ne parut plus emporté. Chacun se pâmait de rire en voyant la grande fureur hippocratique logée dans un corps si mince.
« Docteur, disait Ninon, vous me permettrez bien au moins de boire un verre d'eau ? » A ces mots, le gentil animal se radoucissait, il remuait la queue, sans plus de colère. En signe de réconciliation, Raton acceptait et grugeait une gimblette ; puis il faisait mille tours et sautait d'aise et d'allégresse d'avoir vu passer encore un repas conforme a l’ordonnance et qui ne devait pas nuire aux jours précieux de son inséparable amie.
Illustration : Ninon de Lenclos (1620-1705)
hdslrcoalition 03/05/2015 09:49
jasper 29/07/2014 20:52