Extrait de « Histoire des Girondins » (Volume 5) par Alphonse de Lamartine, paru en 1847
La longueur de son interrogatoire à la Convention avait épuisé les forces de Louis XVI. Il chancelait d'inanition. Chaumette lui demanda s'il voulait prendre quelque aliment. Le roi refusa. Un moment après, vaincu par la nature en voyant un grenadier de l'escorte offrir au procureur de la commune la moitié d'un pain, Louis XVI s'approcha de Chaumette et lui demanda, à voix basse, un morceau de ce pain.
« Demandez à haute voix ce que vous désirez, lui répondit Chaumette, en se reculant comme s'il eût craint le soupçon même de la pitié. — Je vous demande un morceau de pain, reprit le roi en élevant la voix. — Tenez, rompez à présent, lui dit Chaumette, c'est un déjeuner de Spartiate. Si j'avais une racine, je vous en donnerais la moitié. »
On annonça la voiture. Le roi y remonta, son morceau de pain encore à la main ; il n'en mangea que la croûte. Embarrassé du reste, et craignant que s'il le jetait par la portière, on ne crût que son geste était un signal, on qu'il avait caché un billet dans la mie de pain, il le remit à Colombeau, substitut de la commune, assis en face de lui dans la voilure. Colombeau jeta le pain dans la rue.
« Ah ! lui dit le roi, c'est mal de jeter ainsi le pain dans un moment où il est si rare. — Et comment savez-vous qu'il est rare, lui demanda Chaumette. — Parce que celui que je mange sent la poussière. — Ma grand'mère, reprit Chaumette avec une familiarité joviale, me disait dans mon enfance : « Ne jetez jamais une miette de pain, car vous ne sauriez en faire pousser autant. — Monsieur Chaumette, dit en souriant le roi, votre grand'mère avait du bon sens, le pain vient de Dieu. »
Illustration : Louis XVI à la barre de la Convention (1792)