D'après « Willy. Biographie précédée d'un portrait frontispice, illustrée de divers dessins, etc. », paru en 1904
Au début du XXe siècle, le journaliste, critique musical et boulevardier Henry Gauthier-Villars – qui épousa Colette en 1893 – eut avec Auguste Mangeot, directeur de la gazette musicale Le Monde musical, une polémique assez violente : injures, huissiers, rien n'a manqué à la fête.
Mais un incident de cette querelle, plutôt cruel pur le pauvre directeur, mérite d'être signalé : la rosserie adroite de Willy, pseudonyme de Gauthier-Villars, y éclate dans toute sa verve. Sous le voile de l'anonymat, il envoya à la gazette ennemie le sonnet suivant, d'allures séduisantes :
Musique, tu me fus un palais enchanté
Au seuil duquel menaient d'insignes avenues
Nuit et jour, des vitraux aux flammes continues,
Glissait une adorable et vibrante clarté.
Et des choeurs alternant, – dames de volupté,
Oréades, ondins, faunes, prêtresses nues, –
Toute la joie ardente essorait vers les nues,
Et toute la langueur et toute la beauté.
Sur un seul voeu de moi, désir chaste ou lyrique,
Ta fertile magie a toujours, ô musique :
Bercé mon tendre songe ou mon brillant désir.
Et quand viendra l'instant ténébreux et suprême,
Tu sauras me donner le bonheur de mourir,
En refermant les bras sur le Rêve que j'aime !
Auguste Mangeot, sans défiance, inséra la poésie, la loua et fut désolé quand Willy lui révéla qu'elle était acrostiche (Mangeot est bête) !