D'après « Balzac en pantoufles », paru en 1856
Le café de Balzac eût mérité de rester proverbial. Quelle couleur ! Quel arôme ! Il le faisait lui-même, ou, du moins, présidait-il toujours à la décoction, décoction savante, subtile, divine, qui était à lui comme son génie, rapporte l’écrivain Léon Gozlan.
Ce café se composait de trois sortes de grains : bourbon, martinique et moka. Le bourbon, il l’achetait rue du Mont-Blanc ; le martinique, rue des Vieilles-Audriettes ; le moka, dans le faubourg Saint-Germain chez un épicier de la rue de l’Université. Ce n’était pas moins d’une demi-journée de courses à travers Paris. Mais un bon café vaut cela et même davantage. Le café de Balzac était donc la meilleure et la plus exquise des choses... après son thé toutefois.
Ce thé, fin comme du tabac de Latakieh, jaune comme de l’or vénitien, répondait sans doute aux éloges don Balzac le parfumait avant de vous permettre d’y goûter : mais véritablement il fallait subir une espèce d’initiation pour jouir de ce droit de dégustation. Jamais il n’en donnait aux profanes ; et nous-même n’en buvions pas tous les jours, écrit encore Gozlan.
Aux fêtes carillonnées seulement, il le sortait de la boîte kamtschadale où il était renfermé comme une relique, et il le dégageait lentement de l’enveloppe de papier de soie, couverte de caractères hiéroglyphiques... Si l’on prend trois fois de ce thé d’or, prétendait Balzac, on devient borgne, six fois, on devient aveugle ; il faut se consulter. Aussi, lorsque Laurent Jan se disposait à boire une tasse de ce thé digne de figurer dans les endroits les plus bleus des Mille et une Nuits, il disait : « Je risque un œil : versez ! »
Illustration : Honoré de Balzac